IL ÉTAIT UNE FOIS

le stade Darboussier

Évoquer la genèse du CREPS des Antilles Guyane, c’est en premier lieu, la resituer dans le contexte des problématiques des enjeux encore d’actualité, celui des équipements sportifs en outremer en général, en Guadeloupe en particulier.

L’arrivée d’un homme dans la colonie, en 1936, sera déterminante pour le futur : le gouverneur général Félix Eboué, un guyanais ancien joueur de rugby qui pratique encore de l’escrime avec ses amis.

Convaincu du rôle social du sport, Eboué impulse la première politique publique sportive en Guadeloupe sans réels moyens financiers, mais avec la conviction que l’édification de stades est une urgence. Il plaide pour la construction de deux stades ; un à Basse- Terre et l’autre à Pointe-à-Pitre. L’implantation du stade de la région pointoise se fera dans le quartier du Raizet, un site agricole aux Abymes sur les terres de la plus grosse structure industrielle sucrière de l’île : l’usine Darboussier (1869-1980).

Dans un contexte de précarité, en 1937, les propriétaires de l’usine offrent offre ses terres pour l’édification d’un stade. Il prend le nom de stade Darboussier géré par le club de l’usine, l’Amicale Club Darboussier (ACD).

Le contexte des années 30.

La Guadeloupe, dans les années 30, est perturbée par des troubles sociaux (grèves) liés à une situation économique difficile (chômage), des difficultés sanitaires, notamment de grandes épidémies (paludisme) et des conditions d’hygiène déplorables.

Parallèlement, les communications vers l’étranger se développent, le premier hydravion de la Pan Am amerrit en 1935 en provenance de Puerto-Rico et de Saint-Thomas. Suite au passage du cyclone 1928, Ali Tur, l’architecte du ministère des colonies mène de grands travaux. Il reconstruit et répare plus de 120 édifices publics de l’île.

Cependant, aucun équipement sportif n’a été construit. Dans le même temps, l’espace des sports guadeloupéen est dynamique : il se structure de manière singulière en fonction des logiques d’affrontement qui règlent les défis locaux et l’action des prosélytes les plus influents, ceci, sans aucune relation avec la métropole.

En effet, les performances de l’île ne sont pas en mesure d’accroitre le prestige de l’Etat. Les pratiques sont confidentielles, elles restent l’apanage de groupes favorisés, des hommes essentiellement. En l’absence d’infrastructures standardisées, la bourgeoisie, les notables s’adonnent à l’escrime, au tennis, aux sports hippiques tandis que les classes populaires, les ouvriers des usines, trouvent dans la boxe et le cyclisme leurs modes d’expression.

L’athlétisme – peu développé en absence d’équipements normalisés - regroupe les jeunes, les lycéens et la petite-bourgeoise tout comme le football, le sport le plus populaire.



La construction du stade Darboussier en 1937,

en fait, un terrain de football non clôturé et doté d’une tribune, centralise en un seul lieu les plus grands évènements sportifs de la colonie : courses hippiques, matches de boxe, lendits, festival de gymnastique.

Le Trophée Caraïbe, la première compétition internationale de football opposant la Guadeloupe, la Martinique et les trois Guyane (hollandaise, britannique, et française), organisée en 1948 lors des fêtes du centenaire de l’abolition de l’esclavage renforce le mythe du stade, d’autant plus que la Guadeloupe triomphe.

Dans les années 50, l’aéroport du Raizet est inauguré (1953) ce qui préfigure l’aménagement d’une nouvelle zone urbaine qui deviendra le quartier du Raizet. A la même époque, Bruno Dulac - un professeur d’éducation physique guadeloupéen qui conduit la première équipe de football guadeloupéenne en France – construit grâce à des dons, une nouvelle tribune, qui accroit les capacités d’accueil du public.

Plus connue sous la référence « les « escaliers du CREPS » par les puristes, cette tribune, avant sa destruction, s’utilise comme un véritable outil didactique/pédagogique et de renforcement original – une marque de fabrique - d’un grand nombre de générations de sportifs durant plus de 50 ans.



De l'idée à la création du CREPS des Antilles Guyane

1958-1965

A partir de 1958, la Guadeloupe - devenue département français suite à la loi du 19 mars 1946- commence à intéresser les instances sportives nationales. Henri Schelmmer, inspecteur général de la Jeunesse et des Sports et de l’Education Nationale, visite du 23 février au 23 mars 1959, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Le 14 mars 1959, en Guadeloupe, il incite à l’action au nom de la jeunesse et prend position pour les équipements sportifs et la formation des cadres. La rencontre avec Venant Basileu, un professeur d’éducation physique guadeloupéen, diplômé de l’école normale supérieure d’éducation physique (ENSEPS) adjoint de l’inspecteur départemental de la jeunesse et des sports de l’époque, milite pour l’action en faveur de la formation des maîtres. Le jeune cadre confie à M. Schelmmer : « on ne fera rien en Guadeloupe s’il n’y a pas un CREPS ! »

La petite histoire révèle que le choix et l’implantation du site se font dans un contexte d’incertitudes, de rivalités politiques entre les départements, de litiges financiers et sportifs. Et finalement, le stade Darboussier situé au quartier du Raizet sera retenu.

En 1962, Olivier Philip le directeur de cabinet du Haut-Commissaire aux sports Maurice Herzog pose la première pierre du CREPS un projet singulier qui a pour ambition majeure de répondre aux carences de la formation des cadres des trois départements, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Le projet prévoit un financement par la municipalité de Pointe-à-Pitre (5 millions d’anciens francs), par la municipalité des Abymes (12 millions d’anciens francs) et le reste par l’Etat et la liquidation du terrain de plus de 9 hectares (410 millions de francs).

Les travaux conçus par l’architecte Gilbert Amarias débutent en août 1963 ; ils s’achèvent en septembre 1965.

Les réalisations concernent un internat, des salles de cours et un dortoir. En ce qui concerne les installations sportives : un gymnase de 44x22m, une piscine de 25m x12,50m ; un stade d’athlétisme et 2 cours de tennis.

A la rentrée de la première promotion de 50 élèves qui préparent la première partie des maîtres d’éducation physique et sportive, on remarque 7 cadres parmi lesquels, Labridy, Chérubin, Pinardon, Bertola, Chaia, Ladja, Féliza.

L’établissement dirigé par Venant Basileu fait sa rentrée le lundi 4 octobre avec pour censeur Pierre Antonius. Les débuts sont épiques en absence de cuisine et de piscine fonctionnelle. Le gymnase n’est pas achevé et pauvre en agrès. Il fallait être astucieux pour trouver des solutions afin de transférer les cours de natation en bord de mer ou encore emprunter une barre fixe au révérend père Durand.



La prédominance de l’athlétisme et les nouveaux enjeux de formations

1965-1989

L’athlétisme dans les années 60 représente la meilleure vitrine du CREPS. La discipline prend un nouveau départ avec la création de la ligue régionale (1960) et les résultats internationaux de Roger Bambuck (sélectionné aux Jeux Olympiques de Tokyo).

Les performances des athlètes guadeloupéens dans la Caraïbe ; ils reposent aussi sur la dynamique et l’engagement des enseignants d’éducation physique dans le sport scolaire, l’ASSU. Les premiers clubs de l’hexagone se produisent en Guadeloupe à l’exemple de la tournée de section d’athlétisme du Bordeaux Etudiants Club (BEC) en 1965 conduite par Christian Dubreuilh, le futur directeur technique national.

Nul doute que la présence d’Antoine Chérubin, ancien athlète international, dans l’encadrement du CREPS, contribue à rattacher, sans conteste, cette discipline sportive à l’image et à la renommée de l’établissement. Il y fait toute sa carrière et forme plus de 40 athlètes internationaux. Arrivé en 1965, en tant que maître d’EPS, il est nommé conseiller technique régional d’athlétisme en 1972, puis directeur technique adjoint en 1988. Lorsqu’il prend sa retraite, il est devenu directeur de l’établissement.

Placé sous la tutelle du ministère de jeunesse et des sports, le Centre Régional d’Education physique et Sportive (CREPS, un acronyme qui évoluera en fonction de ses missions au cours du temps), le CREPS des Antilles Guyane contribue à la formation des professeurs d’éducation physique adjoint des trois départements jusqu’en 1983. La loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives transforme les missions et devient « Centre d’Education Populaire et de Sport ».

La formation de cadres et le perfectionnement des sportifs lors de l’organisation de stages de football (le premier encadré par J. Braun se déroule en décembre 1965), mois où le cycliste jacques Anquetil se produit au CREPS.

Un grand nombre d’internationaux (coaches et athlètes) trouveront au CREPS des conditions de préparation lors des stages organisés à l’échelon local, au niveau national et international. La venue régulière des équipes nationales (France, Italie, Canada) et de vedettes internationales, (brésiliennes, américaines, allemandes, jamaïquaines etc.) renforcent l’image du CREPS jusqu’aux années 2000.

La formation et le perfectionnement des sportifs de haut niveau s’imposent comme une image de marque une source d’inspiration pour les talents locaux.

Les guadeloupéens impliqués dans cette démarche, à l’exemple des plus célèbres :

  • Jacques Lolo,
  • Jean Martine,
  • George Coquin (athlétisme),
  • Robert Geoffroy (natation),
  • Pierre André,
  • Bruno Martinoya (cyclisme),
  • Jean Mathurin, Farashmane (football),
  • Camille Paulin (karaté),
  • Robert Gara (escrime)

Ces hommes trouvent au CREPS les conditions de développement de leurs disciplines respectives dans les années 70-80 ce qui se traduit dans les résultats, la formation des hommes et accroît la popularité et l’adhésion aux sports dans les trois départements.


Du centre permanent d’entrainement et de formation Antilles-Guyane (CPEF) aux filières de haut niveau.

1989-1994

En 1989, un centre permanent d’entrainement et de formation (C.P.E.F) des Antilles et de la Guyane voit le jour. Fruit des remarquables résultats de l’athlétisme guadeloupéen depuis les années 1970. Cette structure implantée au CREPS Antilles-Guyane disparait en 1991 au moment où s’installent en 1997 des filières de haut-niveau structurées en pôles (France/ Espoirs/outremer) et des centres d’entrainement régional.

Les rénovations à partir de 1994

En 1989, le cyclone Hugo ravage fortement les structures (le gymnase et son toit) ; il faut attendre 1994 pour que des travaux d’une grande ampleur transforment les structures vétustes. Un bâtiment d’hébergement, une salle de musculation, une salle d’escrime avec 4 pistes climatisées, une piscine de 25m x21m de 8 couloirs avec hublots sont construits. La piste d’athlétisme et les deux terrains de jeux sont refaits.

Le CREPS a reçu un grand nombre de personnalités et de ministres. La visite du président de la république, Jacques Chirac en 2000 reste un temps fort de l’histoire du CREPS et illustre sa considération au niveau national. Les déclarations du chef de l’Etat l’attestent : « ….Je suis un supporter inconditionnel de l’athlétisme guadeloupéen et antillais dont je connais la valeur… Je suis heureux de découvrir le centre dans lequel tout ce beau monde se prépare pour obtenir les résultats que l’on sait…. ».

Au cours du temps, le CREPS fait partie du patrimoine local ; il est resté longtemps un lieu de convivialité ouvert à tous, où dès 5H du matin, la population s’adonne à des activités spontanées régulées en partie par « les amis du CREPS » une association crée en 1986 par Edwige Nicolas, ancien athlète, un chargé de mission et haut-fonctionnaire au ministère de l’équipement .



Les dernières rénovations

et les mutations institutionnelles

À partir de 2009, le CREPS des Antilles et de la Guyane subit de grandes mutations institutionnelles. Le 6 novembre 2009, le Conseil Interministériel de l’Outre-mer (le CIOM), considérant que le sport est un facteur d’identification et de cohésion sociale attribue au CREPS des Antilles et de la Guyane le statut de « deuxième campus national d’excellence sportive » après l’INSEP et lui confie la mission de tête de réseau pour le sport de haut niveau et pour les formations aux métiers du sport et de l’animation pour les départements français d’Amériques.

Depuis la rentrée scolaire de 2010, le CREPS des Antilles et de la Guyane accueille un établissement scolaire, « la cité scolaire d’excellence sportive » qui regroupe en un même lieu collège et lycée, une spécificité exceptionnelle. deux-cent jeunes sportifs peuvent s’entrainer, étudier et d’être hébergés au sein du CREPS. Le décret du 3 juin 2011 transforme le CREPS en Centre de Ressources, d’Expertise et de Performances Sportives.



En cinquante ans, huit directeurs d’établissement :

  • Venant Basileu (1965-1985),
  • Christian Foulman (1985-1987),
  • Pierre Guyot (1987-1991),
  • Alain Siblot (1991-1994),
  • Antoine Chérubin (1994-2001),
  • Bernard Grenier (2001-2005),
  • Michel Dach (2005-2012),
  • Charles Dumont (2012-2015),
  • Eddie Couriol (2015)




Harry P. Mephon
Sociologue